L’abbaye de Thélème, le texte
“Toute leur vie était dirigée non par les lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre-arbitre. Ils sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire, ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause :
FAIS CE QUE VOUDRAS,
car des gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et les éloigne du vice ; c’est ce qu’ils nommaient l’honneur. Ceux-ci, quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion ou une contrainte, se détournent de la noble passion par laquelle ils tendaient librement à la vertu, afin de démettre et d’enfreindre ce joug de servitude ; car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitons ce qui nous est refusé.”
François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, « l’abbaye de Thélème », 1534
L’abbaye de Thélème – Questions
Lisez le titre de l’œuvre. A l’aide du chapeau, dites qui sont Gargantua et Jean. Qu’ont-ils fait ?
Pourquoi Gargantua offre-t-il une abbaye à Jean ? Que demande précisément Jean ?
Observez rapidement le texte et repérez la partie en majuscules. Quel lien faites-vous avec l’origine du mot « Thélème » ?
Correction des exercices
Lisez le titre de l’œuvre. A l’aide du chapeau, dites qui sont Gargantua et Jean. Qu’ont-ils fait ?
Ce texte est extrait de Gargantua, le deuxième roman de François Rabelais. Ce livre raconte d’abord l’enfance et l’éducation de Gargantua.
Dans une deuxième partie, le roman retrace les incroyables et terribles guerres picrocholines. Pendant la guerre contre Picrochole, Gargantua rencontre Frère Jean, un moine, qu’il apprécie beaucoup pour sa grande bravoure (=son grand courage).
Gargantua et Frère Jean deviennent alors amis.
Pourquoi Gargantua offre-t-il une abbaye à Jean ? Que demande précisément Jean ?
A la fin de la guerre, Gargantua remercie Frère Jean en lui offrant une abbaye ([abei] =une institution où vivent les prient le moines).Frère Jean refuse d’abord, en disant « Comment pourrait-on gouverner autrui quand on ne sait pas se gouverner soi-même ? » (François Rabelais ; Gargantua, Chapitre LII, 1534)
*autrui : d’autres personnes, les autres
Enfin, il finit par accepter et choisit alors d’organiser « son » abbaye suivant ses propres principes, ses propres idées.
Observez rapidement le texte et repérez la partie en majuscules. Quel lien faites-vous avec l’origine du mot « Thélème » ?
Le mot « Thélème » vient du grec. Il signifie « le désir ». Ce nom illustre clairement l’unique principe, qui est la règle de la vie dans l’abbaye : “Fais ce que tu voudras”.
Dans les institutions religieuses de l’époque, au contraire, la vie des moines était organisée par des règles très précises, très strictes, très nombreuses. L’abbaye de Thélème est donc une construction idéale, mais qui n’existe pas. Elle a un mode de fonctionnement contraire à celui d’une abbaye normale.
L’organisation de l’abbaye de Thélème
Qu’est-ce que le libre arbitre ?
Le libre arbitre c’est le fait de pouvoir décider pour soi-même, et librement.
Pouvez-vous donner des exemples qui montrent comment est appliquée la règle : « Fais ce que tu voudras » ?
- “Ils sortaient du lit quand bon leur semblait” : Ils se réveillaient quand ils voulaient
- “buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait” : Ils buvaient, mangeaient, travaillaient et dormaient quand ils en avaient envie.
- “Nul ne les éveillait” : Personne ne les réveillait
- “nul ne les forçait (…) à faire quoi que ce soit” : Personne ne les forçait jamais à faire quelque chose.
Qui sont les moines qui habitent dans l’abbaye de Thélème ?
L’abbaye de Thélème est un lieu qui a été construit pour des gens « libres », « bien-nés », c’est-à-dire des gens nobles, et « bien éduqués ».Ce lieu ne s’adresse donc pas à n’importe qui, mais à une partie de la société (peu nombreuse à la Renaissance), riche, de bonne famille, et ayant reçu une très bonne éducation.
« Fais ce que tu voudras »
D’après Frère Jean, Gargantua, (et Rabelais) pourquoi la règle de « fais ce que tu voudras est-elle la meilleure règle pour organiser une abbaye idéale ?
D’après le texte, « les gens (…) bien nés (…) ont par nature un instinct (…) qui les pousse toujours vers la vertu et les éloigne du mal. »
- par nature = naturellement, depuis la naissance
- un instinct = une réaction naturelle (par opposition à un comportement appris)
- la vertu = le bien, les bons comportements
- éloigner = rester loin de, aller loin de
Aux yeux de Rabelais, naturellement, donc, les hommes choisissent ce qui est bien.
Mais, « quand ils sont écrasés (…) par une contrainte, [ils] se détournent (…) de la vertu (…), car nous entreprenons toujours les choses défendues. »
- la contrainte : les règles ou les personnes qui obligent à faire quelque chose
- se détourner : s’éloigner de, aller loin de, ne plus suivre
- les choses défendues : les choses interdites
Si on force, si on oblige les hommes à suivre des règles, ils auront envie de ne pas les respecter. C’est ainsi que les hommes ne choisirons plus de faire ce qui est bien.
Il vaut mieux donc ne fixer aucune règle. Les hommes naturellement auront un meilleur comportement s’il n’y a pas de règles.
L’abbaye de Thélème : une utopie
On dit que cette description de l’abbaye de Thélème est la première utopie de la littérature française. Qu’est-ce qu’une utopie ?
Une utopie, c’est un idéal social et/ou politique, qui est décrit, sans nécessairement tenir compte de la réalité.
Par extension, une utopie c’est une société, ou un projet idéal, Mais qui semble irréalisable.

Déjà, de par son architecture, l’abbaye de Thélème relève de l’utopie : elle a une forme parfaite et régulière et s’inspire des meilleurs des innovations de la Renaissance.
Pourquoi l’abbaye de Thélème est-elle une utopie ?
Dans ce texte, Rabelais définit une institution qui fonctionne de façon idéale est parfaite, suivant des thèmes chers aux humanistes :
- L’homme est destiné à être libre.
- De même, l’homme est naturellement guidé par le bien.
- L’homme doit acquérir des connaissances et du savoir grâce à son envie et sa curiosité naturelle.
- L’homme se dirige vers le bien grâce à son l’éducation
François Rabelais s’oppose ainsi aux méthodes d’enseignement traditionnelles qui existe dans les institutions religieuses de l’époque.
Il propose un mode d’éducation opposé, destiné à mettre en avant et améliorer les qualités naturelles des hommes.